Le Tartuffe - Compte rendu

Publié le par Roman Littleson

Après La nouvelle Héloïse, un gros pavé signé Rousseau, je me suis plutôt orienté vers quelque chose de court, et de léger. Pour cela, il n’y a rien de mieux qu’une pièce de théâtre et c’est vers le célèbre Tartuffe de notre célèbre Molière que je me suis dirigé.

 

Petit rappel : Le Tartuffe, de Molière, est la troisième version – et la seule qui nous reste – d’une pièce présentée pour la première fois en 1664 sous le nom de Tartuffe, ou l’Hypocrite. Interdite sous la pression des dévots, une deuxième version, L’Imposteur, est représentée en 1667. Celle-ci connaîtra le même sort. Molière finira par la faire autoriser en 1669, après avoir plaidé à plusieurs reprises sa cause auprès du roi.

 

La pièce est en cinq actes et écrite en alexandrins, c’est-à-dire des vers de douze pieds. Elle met en scène Orgon, homme de cour ayant servi le roi pendant la Fronde, qui a accueilli chez lui tartuffe, un dévot qui deviendra son directeur de conscience, semant le chaos dans sa famille. Or, mis à part Orgon et sa mère, madame Pernelle, personne ne croit en la sincérité de Tartuffe. Celui-ci, sous couvert de dévotion ne chercherait que son propre profit.

 

Suite à la première représentation de l’œuvre, Molière a été accusé de blasphème par le parti dévot et ses adversaires en général. Or selon lui, l’intention n’était pas de se rire de la dévotion, ni de la religion, elle était de se moquer des hypocrites. Molière dira ceci lors d’un premier placet adressé au roi suite à la première interdiction de sa pièce : « Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l’hypocrisie sans doute en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique. » Il poursuit dans ce même placet à expliquer qu’il a bien pris ses précautions afin de ne pas mettre tout le monde dans le même panier, de distinguer les vrais dévots des faux : « […] et pour mieux conserver l’estime et le respect qu’on doit aux vrais dévots, j’en ai distingué le plus que j’ai pu le caractère que j’avais à toucher ; je n’ai point laissé d’équivoque, j’ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi, dans cette peinture, que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnaître d’abord un véritable et franc hypocrite. » Cela n’est pas sans faire écho, dans la version définitive de la pièce à une réplique de Cléante à Orgon, tandis que celui-ci, ayant démasqué Tartuffe, déclare à son beau-frère vouloir renoncer à tous les gens de bien : « Dans la droite raison n’entre jamais la vôtre, / Et toujours d’un excès vous vous jetez dans l’autre. / […] / Et qu’avec le cœur d’un perfide vaurien / Vous confondiez les cœurs de tous les gens de bien ? / Quoi ? parce qu’un fripon vous dupe avec audace / sous le pompeux éclat d’une austère grimace, / Vous voulez que partout on soit fait comme lui, / Et qu’aucun vrai dévot ne se trouve aujourd’hui ? » (Acte V, scène I)

On peut toutefois se demander si la première version de la pièce était aussi nuancée ou bien si Molière a appuyé sur ce point afin de calmer les esprits.

On remarquera d’ailleurs, à la lecture de la pièce, que Tartuffe n’apparaît pas avant le troisième acte. Un choix que justifie le dramaturge dans la préface de la première édition de l’œuvre : « […] je l’ai traitée avec toutes les précautions que me demandait la délicatesse de la matière  et […] j’ai mis tout l’art et tous les soins qu’il m’a été possible pour bien distinguer le personnage de l’hypocrite d’avec celui du vrai dévot. J’ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat. Il ne tient pas un seul moment l’auditeur en balance ; on le connaît d’abord aux marques que je lui donne ; et d’un bout à l’autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action, qui ne peigne aux spectateurs le caractère d’un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose. »

Lors de la deuxième version de la pièce Molière a changé l’apparence de Tartuffe et en a fait un homme du monde. Mais le résultat est le même : « En vain je l’ai produite sous le titre de  L’Imposteur, et déguisé le personnage sous l’ajustement d’un homme du monde ; j’ai eu beau lui donner un petit chapeau, de de grands cheveux, un rand collet, une épée, et des dentelles sur tout l’habit, mettre en plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j’ai jugé capable de fournir l’ombre d’un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulais faire : tout cela n’a de rien servi. » (Second placet au roi) À savoir, Tartuffe  était plutôt représenté comme un ecclésiastique dans la première version de la pièce. Signe que pour lui, le blasphème n’est pas le réel problème de sa pièce.

Le réel problème, selon lui, c’est que la pièce dénonce l’hypocrisie, met au jour le véritable visage de certains dévots, mais pas que. Des puissants également, de ceux qui entourent le roi et font pression pour interdire sa pièce. « Les tartuffes, sous main, ont eu l’adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté » (Premier placet) ; ou encore : « Je ne doute point, Sire, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et ne jettent dans leur parti, comme ils ont déjà fait, de véritables gens de bien […]. Ils ont l’art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. » (Second placet) Effectivement, lorsque l’on attaque de puissantes personnes, on se trouve exposé. Mais Molière n’entend pas se laisser faire et poursuit ainsi, enfonçant le clou : « Quelque mine qu’ils fassent, ce n’est point du tout l’intérêt de Dieu qui les peut émouvoir ; ils l’ont assez montré dans les comédies qu’ils ont souffert qu’on ait jouées tant de fois en public sans en dire le moindre mot. Celles-là n’attaquaient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu ; mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes, et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauraient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde […]. » (Second placet au roi)

La pièce sera une nouvelle fois remaniée – et peut-être une nouvelle fois adoucie – et finalement autorisée en 1669.

 

Voilà pour le contexte qu’il me semble intéressant de rappeler. Quant à la pièce elle-même j’ai beaucoup apprécié. L’écriture en alexandrins ne m’étant pas familière, il m’a fallu par moment m’y reprendre à plusieurs fois pour saisir le sens de certaines phrases, surtout les longues. En effet, la contrainte de cette écriture pousse à inverser l’ordre habituel des différentes propositions. De même, on a tendance à énormément se focaliser sur la rime au lieu de se focaliser sur le rythme naturel des phrases. Cela dit, le nombre de pied de chaque vers imposant un certain rythme et chaque vers rimant par paire… Enfin, il faut quand même essayer de s’en détacher, d’imaginer les situations, les intonations des personnages pour profiter.

Certains passages sont franchement drôle, comme lorsque qu’Orgon, rentrant chez lui au début de la pièce après deux jours d’absence, s’enquiert des nouvelles de la maison auprès de Dorine, suivante de sa fille. Tandis que celle-ci lui annonce la mauvaise santé durant ces deux jours d’Elmire, sa deuxième épouse, Orgon ne se préoccupe que de Tartuffe qu’il plaint alors que ce dernier se porte comme un charme. La dernière réplique de Dorine dans cette scène m’a fait mourir de rire.

D’ailleurs c’est certainement mon personnage préféré de la pièce. « Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente », selon Madame Pernelle, mère d’Orgon, elle aussi abusée par l’apparente dévotion de Tartuffe (Acte I, scène I). C’est elle, Dorine, une suivante, qui encourage les autres membres de la maison qui n’en peuvent plus de l’intrus mais ne font rien, à agir. On remarquera par ailleurs que le seul personnage à réussir à quelque chose est Elmire, une femme elle aussi, puisque c’est grâce à l’un de ses stratagèmes qu’Orgon finit par ouvrir les yeux. Cléante, beau-frère d’Orgon ne parvient à rien, bien qu’il garde l’estime du maître des lieux et Damis, fils d’Orgon ne parvient qu’à se faire déshériter. Marianne, fille d’Orgon, et Valère, amant de celle-ci, ne servent pas à grand-chose selon sinon à illustrer le désordre que Tartuffe sème dans la maison, lorsqu’Orgon retire ses promesses de mariage à Valère pour donner la main de sa fille à Tartuffe.

Pour en revenir à Dorine, c’est elle qui, « forte en gueule », n’hésite pas à envoyer des piques bien sentie à Orgon dans le dernier acte, afin qu’il (et que le lecteur, le spectateur) n’oublie pas  que peu de temps avant il était encore aveuglé par l’imposteur.

La résolution m’a paru un peu facile. Ceci dit, l’intervention du roi, via un exempt, ne doit rien au hasard, Molière, ainsi que la vision du théâtre qu’il défendait, étant sous la protection de celui-ci. De plus en (sur)interprétant un peu ne peut-on pas voir la punition de Tartuffe comme une punition divine ? Le roi savait que le personnage était un imposteur ; le roi rend ses biens à Orgon ; le roi pardonne Orgon. Le roi est omniscient ; le roi est juste ; le roi pardonne. Ce Roi Soleil, élevé au rang d’un dieu. Un comble pour un scélérat se faisant passer pour un dévot !

Et peut-être certains, parmi l’entourage de Sa Majesté, tremblaient à l’idée de subir le même sort…

 

 

Le Tartuffe - Molière - Folio Classique

Publié dans Mes lectures

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article