EGLOGA QUINTA

Publié le par Roman Littleson

Ménalcas


Pourquoi, Mopsus, puisque nous nous accordons bien ensemble, toi à souffler dans de doux roseaux, moi à chanter des vers, ne nous sommes-nous pas assis ici, au milieu des ormes mêlés aux coudriers ?

Mopsus

Tu es l’aîné, il est juste que je t’obéisse, Ménalcas, que nous allions soit sous ces ombres incertaines, alors que le vent d’ouest les agite, soit dans cette grotte. Regarde comme la vigne sauvage la jonche de grappes exceptionnelles !

Ménalcas

Dans nos montagnes, seul Amyntas rivalise avec toi.

Mopsus

Et si celui-là même tâchait de dépasser Phébus en chantant ?

Ménalcas

Commence le premier, Mopsus, si tu les possèdes, ces feux de Phyllis, ces éloges d’Alcon ou ces provocation de Codrus ! Commence ! Tityre gardera tes chevreaux qui paissent !

Mopsus

Non, je tenterai ceux-là, ces chants que j’ai récemment tracés et notés sur une verte écorce de hêtre en leur donnant l’un après l’autre un air : toi ensuite, ordonne à Amyntas de rivaliser avec moi.

Ménalcas

Autant le souple saule cède au pâle olivier, autant l’humble valériane cède aux pourpres rosiers, autant, à notre avis, Amyntas cède à toi. Mais cesse d’en dire trop, mon garçon, nous sommes entrés dans la grotte.

Mopsus

Les Nymphes pleuraient Daphnis, disparu d’une cruelle mort (vous, fleuves et coudriers, vous en étiez témoins pour les Nymphes), quand, ayant embrassé le triste cadavre de son enfant, sa mère nomme cruels les dieux et les astres. Pour Daphnis, en ces jours, personne n’a voulu mener ses bœufs rassasiés aux fleuves frais, et aucun quadrupède n’a effleuré une rivière, ni touché l’herbe d’un pré. Pour toi Daphnis, les monts et les forêts sauvages disent encore que les lions africains ont pleuré ta disparition. C’est Daphnis qui a établi d’atteler au char les tigres d’Arménie. Daphnis qui a établi de représenter les thiases de Bacchus et d’entrelacer de tendres feuilles les souples hampes. Comme la vigne fait honneur aux arbres, les raisins à la vigne, les taureaux aux troupeaux, les céréales aux champs fertiles, toi, tu es tout honneur pour les tiens. Après que les destins t’eurent emporté, Palès elle-même, de même qu’Apollon, abandonna les champs. De ces sillons auxquels nous avons souvent confié de magnifiques orges, naissent la triste ivraie et les folles avoines ; à la place de la douce violette, à la place du narcisse pourpré, se dressent les chardons ainsi que le paliure aux épines pointues. Jonchez le sol de feuilles, amenez les ombres aux sources, bergers (Daphnis demande à ce que cela soit fait pour lui), élevez un tombeau de terre et ajoutez ce vers à ce tombeau : « Moi Daphnis, connu dans les forêts d’ici jusqu’aux étoiles, gardien d’un beau troupeau, moi-même plus beau que celui-ci ».

Ménalcas

Ce chant, de tous les tiens, est pour nous, divin poète, tel un sommeil dans l’herbe pour ceux qui sont fatigués, tel qu’éteindre la soif par un cours ruisselant d’eau douce pendant la chaleur. Et tu n’égales pas seulement ton maître avec tes chalumeaux, mais aussi par ta voix ! Heureux enfant tu seras désormais de loin un autre maître. Cependant, nous te dirons bientôt nos chants à notre tour, et nous élèverons ton Daphnis jusqu’aux étoiles ; nous porterons Daphnis jusqu’aux étoiles. Daphnis nous a aimés, nous aussi.

Mopsus

Quelque chose pourrait-il être plus noble pour nous qu’un tel présent ? L’enfant lui-même fut digne d’être chanté et tes chants, Stimichon nous les a vantés il y a quelque temps déjà.

Ménalcas

L’éclatant Daphnis admire le seuil inusité de l’Olympe et voit sous ses pieds les nuages et les étoiles. Ainsi donc, un vif plaisir occupe les bois et le reste des champs, ainsi que Pan, les bergers et les jeunes Dryades. Et le loup ne prépare pas de pièges au troupeau ni aucun filet ne prépare de douleur aux cerfs. Le bon Daphnis aime les moments de repos. D’eux-mêmes, les monts feuillus lancent avec joie leurs voix vers les étoiles ; d’eux-mêmes, les rochers et les arbres font résonner leur chant : « C’est un dieu ! Un grand dieu, Ménalcas ! » Ô sois bon et favorable aux tiens ! Voici quatre autels : deux pour toi, Daphnis, deux plus élevés pour Phébus. Chaque année je déposerai pour toi deux coupes écumantes de lait nouveau, ainsi que deux grands vases d’une huile onctueuse. Et surtout, égayant les repas à la manière d’un Bacchus prolixe, devant le foyer s’il fait froid, ou, si c’est le temps de la moisson, à l’ombre, je verserai dans les coupes les vins d’Ariusium, tel un nectar nouveau. Damoetas et Egon de Lyctus chanteront pour moi ; Alphésibée imitera les Satyres qui dansent. Ces choses-là seront toujours à toi, et quand nous exprimeront aux Nymphes nos vœux annuels, et quand nous purifierons les champs. Tant que le sanglier se plaira dans les montagnes et le poisson dans l’eau, tant que l’abeille se nourrira de thym et la cigale de rosée, ton honneur, ton nom et ta gloire demeureront. Comme à Bacchus et à Cérès, les paysans t’exprimeront ainsi chaque année leurs vœux ; toi aussi tu pourras les exaucer.

Mopsus

Quels présents, lesquels, t’offrir en retour d’un tel chant ? En effet, ni le sifflement de l’Auster qui approche, ni les rivages frappés par le flot ne me plaisent tant, ni les fleuves qui se précipitent au milieu des vallons de pierres.

Ménalcas

Avant, nous te gratifierons de cette fragile flûte, celle-là même qui nous a enseigné cela : « Corydon brûlait d’amour pour le bel Alexis », et cela : « À qui est ce troupeau ? À Mélibée ? »

Mopsus

Et toi, Ménalcas, prends cette houlette, belle par ses nœuds égaux et son bronze, que, bien qu’il me la demandât souvent, Antigène n’a pas emportée, alors qu’il était digne d’être aimé.

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